Ce blog ne prétend rien d'autre que d'être une suite d'articles sans liens ni thématiques particulières. Il fait part de la vision d'un expatrié sur ce merveilleux pays qui l'a accueilli, essayant d'en donner une image diffèrente des clichés qu'en ont souvent ceux qui le méconnaisse. Il cherche aussi à temoigner d'une expérience personnelle qui prouve que le bonheur n'est pas une chimère...

19 oct. 2015

Deux jeunes loups face à face dans un bistro

salvados rivera iglesias
Pablo Iglesias et Albert Rivera, face à face.

Un jeune et bel homme à l'arrière d'une voiture qui roule dans un quartier populaire de Barcelone...celle-ci s'arrête. Et monte à bord un autre jeune homme barbu avec une longue queue de cheval. Ils se saluent cordialement, et comme s'il s'agissait de deux amis d'enfance, ils commencent à parler de leur vie. "Tu arrives à voir ta gamine avec ton agenda chargé ces derniers temps?" "Oui, quand je la récupère les week-ends (nous sommes divorcés comme tu le sais), je l'emmène avec moi aux meetings, c'est ça où ne pas la voir du tout..."
La discussion se poursuit quelques minutes, les thèmes sont le stress du monde de la politique, le besoin de vacances et d'anonymat.

Nos deux personnages sont en effet les deux nouvelles coqueluches des espagnols, candidats à la présidence du gouvernement pour les prochaines élections législatives qui auront lieu le 20 décembre de cette année. Pablo Iglesias pour Podemos, le parti né des mouvements des indignés, et Albert Rivera pour Ciudadanos, ce parti catalan anti-indépendantiste devenu avec succès parti national et qui se veut centriste et réformateur.
L'année 2015 a été effectivement lourde en évènements et échéances électorales: Croissance et développement sur tout le territoire de ces deux nouvelles formations politiques. Élections régionales en Andalousie et municipales ensuite, au printemps. Élections catalanes en septembre...Podemos et Ciudadanos ont fait leur irruption dans les institutions, s'affirmant définitivement comme la troisième et quatrième force du pays après le Parti Populaire et le Parti socialiste. Maintenant s'approche la campagne pour les législatives en décembre, et forts de leur ascension fulgurante, ils ne doutent guère qu'ils participeront à la formation du prochain gouvernement (un sondage publié aujourd'hui donne 24% d'intention de vote pour le PP, 21% pour le PS, 18% pour Ciudadanos et 14% pour Podemos.)

La voiture s'arrête de nouveau. Les deux hommes sourient. "Tiens! voilà Jordi!" dit l'un d'entre eux. Sur le bord du trottoir les attend Jordi Évole, un journaliste de leur génération.
Cette génération de ventres creux, laissée pour compte, sans travail, sans logis, lassée de la corruption et des magouilles politiques, qui aspire à changer et améliorer la constitution, à virer ces castes de ventres dorés, qui sont des obstacles à la régénération démocratique et à une société plus juste.
Ces trois hommes, à leur manière, incarnent cette génération du changement: Deux qui veulent le faire depuis la politique et les institutions, et le troisième en dénonçant et en informant, de manière indépendante et sur un ton toujours surprenant et novateur, voire souvent provocateur.

Jordi Évole
Jordi Évole
Car Jordi Évole, qui a commencé sa carrière télévisée il y a 15 ans comme une sorte de Laurent Baffie, a rapidement fait son trou sur la Sexta, une chaîne privé dont la qualité, la pluralité et l'indépendance de ses nombreuses émissions, reportages et débats politiques, permettent  à la population d'être réellement informée, contrairement aux chaînes publiques nationales ou régionales, qui censurent et distordent l'info à leur convenance en fonction des intérêts des partis au pouvoir.
Il a laissé peu à peu son habit d'animateur-provocateur-"fouille merde" pour endosser celui de journaliste plus sérieux sans renoncer à son humour et à son "jusqu'au boutisme". Son émission d'actualité sur la politique et la société, "Salvados", est devenu le rendez-vous d'un public toujours plus nombreux, séduit par les thèmes qu'il affronte sans peur ni tabous, et par la manière de les traiter.

Jordi invite Albert et Pablo à boire un coup dans un bistrot de quartier. La patronne, surprise mais contente qu'enfin, certains commencent à faire une "autre" politique, leur apporte trois cafés "con leche". Le débat commence, bon enfant, comme une simple conversation de café.
Contrairement aux ennuyeux débats entre candidats dont nous habitue la chaîne public depuis la démocratie, ici pas de questions pactisées à l'avance, pas de temps de parole chronométré à la seconde. Tout semble improvisé, même si Jordi à devant lui un papier avec le "scénario" à suivre et quelques questions bien précises sur l'économie, la retraite ou l'éducation.

Le débat entre Pablo Iglesias à gauche, et Albert Rivera à droite. Au centre, le journaliste Jordi Ébole.
Les deux hommes s'affrontent, mais sur un ton de camaraderie. Bien sûr, leur vision sur l'économie et leurs solutions à la crise sont aux antipodes. Pourtant, bien des thèmes les rassemblent: La lutte contre la corruption et la fraude fiscale, la séparation des pouvoirs, la réforme électorale, l'aide urgente aux démunis (1 espagnol sur 3 sous le seuil de pauvreté !)... Ce qui amène Pablo Iglesias à dire sur le ton de la plaisanterie: "si ça continue, on devrait se présenter ensemble!"
On est loin des insultes et des surenchères que se lancent sans cesse les deux principaux partis (PP et PS) au parlement ou sur les plateaux: "c'est celui qui dit qui y'est! " "nous on a fait mieux que vous" "c'est toi qu'à commencé!"...
Crèperies de chignons de cours de récréation qui ont le don d'agacer une partie toujours plus grande de l'électorat.

Plusieurs jours avant l'émission, était diffusée une annonce par elle-même originale: Pablo Iglesias et Albert Rivera en train de boire une bière au comptoir d'un bar regardent la télé où Jordi Évole annonce le prochain débat. Et les deux compères, souvent invités sur la Sexta, de faire des commentaires sur le ton de la blague.
On imagine mal l'actuel président Rajoy, voire même son principal rival, le jeune et séduisant socialiste Pedro Sanchez, se prêter à cette petite comédie sympathique. C'est bien ce qui est en train de faire chavirer la vieille politique. Le manque de naturel, de proximité, et même une complète incompréhension du monde réel des gens qu'ils sont censés représenter.

Et déjà, Jordi rêve de pouvoir réunir lors d'un prochain café-débat, à deux, trois ou quatre, les leaders et candidats du PP et du PS, Mariano Rajoy et Pedro Sanchez.
Rajoy, qui nous a habitué à faire ses conférences de presse à travers d'un enregistrement vidéo sur télé de plasma pour éviter toute question de journaliste, aura-t-il le courage de répondre positivement à l'invitation ? On en doute. C'est une autre génération, une autre façon de faire de la politique. Une espèce, espérons le pour nos enfants, en voie de disparition.

Le débat en chiffres: 5,2 millions de téléspectateurs (25% de l'audience); Réseaux sociaux pris d'assaut: 274.010 tweets.

Le débat télévisé: version complète.
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